HOMMAGE À
Eugène Delacroix
Autour des Femmes d’Alger
33 ŒUVRES
Cette période est une suite de variations autour des Femmes d’Alger, d’Eugène Delacroix (1833). Elle hérite d’une longue tradition dans l’histoire des arts : les maîtres ont, de tout temps, repris les travaux de leurs prédécesseurs, affirmant leur style à mesure qu’ils travaillaient les citations, les reprises, les réinterprétations. Proust le fit en littérature avec ses Pastiches et Mélanges, l’Olympia de Manet dérive de la Vénus d’Urbino de Titien, et Picasso réalisa lui-même ses Femmes d’Alger, parmi d’autres hommages rendus aux maîtres anciens (Les Ménines d’après Velasquezou l’enterrement de Casagemasd’aprèsL’Enterrement du comte d’Orgaz du Greco …).
Cet hommage à Delacroix est aussi un hommage à mes racines familiales juive d’Afrique du Nord : algériennes par mon père et tunisienne par ma mère. Des familles juives qui durent, au XVème siècle, fuir le Portugal et l’Italie pour ne pas se convertir et trouvèrent refuge au Maghreb.
Les formats sont multiples. J’ai commencé mes études en petit, au crayon, parfois au Bic, puis les ai travaillées dans des formats plus grands pour délier le trait, m’installer dans l’image, occuper l’espace. Puis j’ai repris un petit format pour faire émerger quelque chose de nouveau et faire passer une même idée par les strates de techniques différentes : crayon blanc sur papier noir, encre de Chine, qui marque les ombres, acrylique et les noirs et blancs qui cernent les corps, collages qui métamorphosent la forme initiale du croquis et mettent en valeur tantôt une porte, tantôt une fenêtre, tantôt au contraire une enclosure.
Mon histoire familiale et personnelle est remontée à la surface à mesure que les couleurs s’étalaient sur la toile. La nostalgie maternelle jamais éteinte pour la Tunisie et mes très nombreux séjours là-bas ont nourri ces souvenirs intimes et le mythe d’une féminité exaltée dans les buées du hammam…
« Les couleurs chaudes du rouge auraient pu prédominer pour exprimer la volupté des bains. C’est plutôt la profondeur des verts et des indigos qui se montre d’abord, comme pour dire l’intensité feutrée et secrète d’une réunion de femmes.
Dans ce travail de reprises et de décalage, chaque réalisation devient à son tour le support d’une nouvelle inspiration.Selon la technique, on voit un jeu d’ombres chinoises, l’esquisse en traits pleins et déliés d’une calligraphie, le contraste épuré des formes en lévitation.
Parfois, un détail du décor, agrandi et réduit à sa forme géométrique, devient le thème principal : alors, dans un zoom géométrique, un élément du décor se met à révéler la scène tout en la cachant. Freud, dans L’interprétation du Rêve (1900), parle de l’opération de « déplacement », par laquelle un élément de détail s’hypertrophie et absorbe le reste de la scène. Peut-être est-ce le même processus qui est à l’œuvre dans cesréalisations liées à l’histoire personnelle et familiale de Delphine Aboulker.
Nul visage, dans la période « Autour des Femmes d’Alger ». Peut-être est-ce que ces œuvres sont une histoire d’atmosphère, de famille, de souvenir, de variations infinies qui effacent, dans les vapeurs d’un hammam, les traits des visages, au profit de la douceur de l’intimité et la sensualité de l’abandon. »
Hortense Miginiac, auteure
« Dans un hommage vibrant aux multiples « Femmes d’Alger » peintes par Eugène Delacroix (1798-1863) puis Pablo Picasso (1881-1973), Delphine Aboulker entreprend ici d’interroger la substance de cette scène emblématique de l’histoire de l’art au travers de la création d’une série, véritable parcours pictural qui alterne styles et techniques.
Celui-ci s’élabore entre figuration et abstraction, aplats et effets de matière. La trace des silhouettes féminines séculaires s’esquisse et dessine une recherche expressive à l’esthétique affirmée. »
Émilie Bloch, historienne de l’art