Critiques

 

Texte d’Emilie Bloch, historienne de l’art à propos de la série « Autour des Femmes d’Alger »

Dans un hommage vibrant aux multiples « Femmes d’Alger » peintes par Eugène Delacroix (1798-1863) puis Pablo Picasso (1881-1973), Delphine Aboulker entreprend ici d’interroger la substance de cette scène emblématique de l’histoire de l’art au travers de la création d’une série, véritable parcours pictural qui alterne styles et techniques.
Celui-ci s’élabore entre figuration et abstraction, aplats et effets de matière. La trace des silhouettes féminines séculaires s’esquisse et dessine une recherche expressive à l’esthétique affirmée.

 

Textes de Matthieu de Sainte-Croix, chercheur, critique, écrivain

Texte écrit à l’occasion de l’exposition chez Albin Gaudaire

L’artiste est une jeune peintre. Ses toiles jouent tantôt sur des variations subtiles de la couleur, tantôt sur des ruptures chromatiques et ne sont que très rarement figuratives. Elle incorpore parfois le texte à ses tableaux. Elle expose à Paris et à Bordeaux.

Il y a dans la peinture de Delphine Aboulker une simplicité, une évidence. Pour cette jeune artiste qui, architecte de formation, a pour habitude de représenter le monde en perspective, l’aplat semble un retour au premier degré. Une « remise à plat » ? Et pourquoi pas.

Mais pour Delphine Aboulker, dont le travail s’apparente ouvertement à l’esthétique de Rothko, cette « platitude » n’est pas exempte de profondeur. Sa gamme chromatique et l’habilité de ses formes génèrent des jeux d’absorptions mutuelles, des palpitations, des effacements discrets et des affirmations soudaines.

De ces tableaux-écrans d’où jaillissent parfois de tremblantes figurations ou quelque mot arraché au monde, on garde un souvenir trouble et troublé. Un voile opaque sur lequel peuvent à l’envi s’inscrire nos angoisses comme nos joies.

Texte écrit à l’occasion de l’exposition à la Mairie de Paris

Focillon avait un titre d’une grande beauté pour parler d’histoire de l’art : « la vie des formes ». Chez Delphine Aboulker, la forme vit. Elle naît, évolue, se développe et se perd. Prise entre la fébrilité des contours et la vigueur chromatique, la forme se révèle le reflet de notre condition paradoxale de spectateur et, même – disons-le – d’être humain : fragilité et force, rupture et continuité, limites et profondeur… Les formes vivent donc, mais nous vivons de surcroît avec elles et en elles.

Delphine Aboulker est obsédée par une matérialité qu’elle n’atteint pas. On croirait ses toiles toute dévolues au simple bonheur des tons et de la pâte, mais, malgré elles ou presque, il demeure une invitation à la rêverie cérébrale. Cette peinture enchante l’œil et aiguise les appétits du cerveau. Dans ces continents, arrachés à l’imaginaire des couleurs, il y a donc des voyages à faire, des sentiers à trouver, des territoires à conquérir.

Texte écrit à l’occasion de l’exposition à l’Aiguillage Galerie dans le « Frigos » 

Collages

Ici, une expression d’un désordre contrôlé. Ce qui s’arrache doucement à la rationalité et déploie, au fil de collages, de déchirures, d’assemblages, une inconséquence poétique, c’est-à-dire dépourvue de toute visée, une inconséquence en soi. Non pas un geste pur mais, à tout le moins, une pureté du geste, sans autre finalité qu’elle-même. Libre, en somme.

New York
Ici, l’incertitude de la peinture. Là où les formes semblent tout à la fois naître et disparaître, s’imposer et se soustraire. Fixé dans l’espace. Et, sans qu’il soit besoin d’une alternance inscrite dans un égrènement de secondes, il y a donc comme un clignotement latent. Dans cette valse-hésitation se disputent le plein et le vide. La pulsation d’un cœur ?

Paris I
Ici, éclate surtout la trace. La trace est un soubresaut de langage, une tentative ou une tentation d’exprimer, mais qui se perd en route, ou s’est perdu au fil du temps, et dont le résidu parle en creux, à demi. La trace, la tache, la strie, la touche, comme autant de jaillissements contrariés, comme autant de signes de notre impuissance à donner du sens, ou à le recevoir.

Paris II
Ici, la tentation figurative. L’abstraction se laisse surprendre par quelques surgissements, là où la nature, timide mais tenace, refait surface. Elle se glisse, imperceptible mais vivace et conduit une lutte avec l’informe. Elle pose, plus que jamais, la question fondamentale du « Que voir ? » ; « Que regarder ? ». Le suspense demeure entier. C’est pour cela que la peinture existe.